Prologue : Marseille - Conca

Lundi 3 juillet 2023

Me voilà dans le port de Marseille. C'est ici que tout commence. A la douane, je rencontre Frédéric et Sarah sa fille, deux normands avec qui je discute directement car, vu nos accoutrements, il est évident que nous avons les mêmes projets. De leur côté, ils parcourront le GR à un rythme plus classique, en s'arrêtant à chaque refuge et en allant le plus loin possible. J'embarque avec un ferry de la compagnie La Méridionale, c'est ma première fois si on omet une traversée St-Malo - Jersey il y a 15 ans qui ne m'a laissé aucun souvenir. Je m'attendais à voir le bateau démarrer à l'heure indiquée, mais il n'en est rien, il reste immobile à quai pendant un temps interminable. Je me dis que ce doit être normal ? Et puis finalement nous démarrons et une voix annonce une heure de retard au départ, et donc à l'arrivée également... Aïe. Je n'avais déjà pas prévu large du tout pour ce premier jour, avec initialement une arrivée à 7h30 à Porto Vecchio puis normalement un bus et du stop si besoin jusqu'à Conca. Et voilà que tout est décalé d'une heure, pour une énorme étape doublée qui m'attend, 26 km et 2380m de dénivelé me séparent d'Asinau. Me voilà donc bien contrariée, un peu paniquée, cela se voit sur mon visage quand je recroise Frédéric et Sarah. Me voyant ainsi, ils me proposent un verre que j'accepte volontiers. Nous discutons, examinons les solutions pour l'arrivée. Puis ils m'expliquent que je suis seule dans la cabine que j'ai réservée, même si elle a 4 places, je n'avais pas compris comment cela fonctionnait. Eux ont réservé simplement les sièges pour la nuit, et ceux-ci sont très vétustes. Je leur propose donc de venir dans ma cabine, ils pourront ainsi être d'attaque pour le GR20 qui démarre dès demain matin. Ils sont ravis, et l'échange de bons procédés ne s'arrête pas là puisqu'ils me proposent alors de partager le taxi à l'arrivée. Cela m'arrange parfaitement et j'espérais un peu cette proposition en réalité.

Sac à dos posé sur le pont du ferry
Sur le pont du ferry

La nuit est relativement reposante, et des chants corses sont diffusés en guise de réveil. Je prends mon petit-déjeuner aux côtés d'un habitué marseillais, lorsque se dévoilent la baie de Porto Vecchio et surtout la montagne toute proche, mon terrain de jeu pour les 10 jours à venir. Cette première carte postale est magnifique, d'autant que c'est la première fois que je vois la Corse. Le sexagénaire me dit que non, ce ne sont pas les aiguilles de Bavelle que j'aperçois lorsque je lui montre une montagne qui se détache au deuxième plan. Cela m'étonne mais il connaît mieux que moi. 

Nous arrivons comme prévu à 8h30, mais il faut encore relier Conca. Malgré une circulation très ralentie, le taxi finit pour nous y amener mais la matinée est alors déjà bien entamée.

Etape 1 : Conca - Asinau

Mardi 4 juillet 2023

 

Sentier du GR20 passant à la Bocca d'Usciolu
10h15 : passage par la Bocca d'Usciolu 

Il est donc presque 10h lorsque je m'élance au départ du GR20 à Conca. Le sentier monte bien mais il est tout de suite très joli, j'apprécie ce paysage de forêt méditerranéenne. Je croise déjà des randonneur.se.s qui terminent probablement leur GR20 dans le sens classique. J'ai beaucoup à faire aujourd'hui et suis partie tard, j'avance donc d'un très bon pas. Il fait rapidement assez chaud mais je trouve cela encore supportable. J'entends et entraperçois ce qui doit être une fauvette mélanocéphale ou pitchou. Je voudrais m'attarder car je n'ai jamais l'occasion d'observer les espèces méditerranéennes mais je n'ai pas le temps aujourd’hui, et je me dis que j'en verrai d'autres (Spoiler : de toute la traversée, je n'en rencontrerai qu'une autre lors de la dernière étape mais que je n'ai pas bien vue, alors que j'avais le temps).

Paysage du sud du GR20 Corse
Paysage depuis le sentier : Punta Pinzuta au premier plan, Puntas Balardia et Batarchione au deuxième

A midi, une pause grignotage s'impose à Bocca Villaghello, 1060 m ("Bocca"  = col). Je suis complètement trempée en tous les points d'appui de mon sac. Il faudra s'y habituer car ce n'est que le début. Ce sont les températures habituelles, il n'y a pas particulièrement de vague de chaleur en ce début de périple. Une femme de mon âge arrive en sens inverse, elle a hâte d'en finir avec le GR qui doit donc être aussi dur que ce qu'on prétend. Je lui indique ma destination du jour, mais précisant mon avancée rapide jusqu'ici, anticipant ses craintes. Mais elle me dit quand même que c'est impossible, qu'Asinau est beaucoup trop loin pour que j'y arrive aujourd'hui, vu l'heure. Je lui réponds que tant pis, je m'arrêterai probablement au col de Bavella à la place... Même si j'espère au fond réaliser toute la double étape comme prévu.

Le paysage est vraiment splendide : les montagnes sont tantôt de granit gris poli avec des rochers tout ronds, tantôt de granit rougeâtre parsemé de pins maritimes. Mais globalement, je m'émerveille de voir autant de vert. On aperçoit rapidement Porto Vecchio, la mer et même la Sardaigne. Les balises GR sont omniprésentes et cela me change, habituée de la HRP et son cheminement souvent hors sentier. Cela me reposera mentalement de marcher 10 jours sans me préoccuper de l'orientation. J'arrive au premier refuge I Paliri en environ 4h, pauses comprises. Je refais le plein d'eau et continue au pas de course pour monter à Foce Finosa. Pour en redescendre, le sentier étant roulant, je me mets à courir un peu. Je croise à nouveau deux personnes qui me disent qu'il faut être raisonnable et qu'atteindre Asinau ne leur semble pas faisable. 

Paysage de granit poli GR20 sud
Bocca Villaghello 

Arrivée au col de Bavella vers 15h, je ne suis pas encore trop fatiguée malgré le rythme que je me suis imposé et les kilomètres avalés. Je vais demander un avis à l'auberge sur le fait de continuer ou non, ou s'ils ont de la place pour dormir si je choisis de m'arrêter là. Une employée me dit qu'il faudrait m'arrêter ici : ce n'est pas trop ce que je voulais entendre, il n'est que 15h, tous ces efforts auraient été vains… Puis je tombe sur le gérant, Anthony, qui m'encourage vivement quand il comprend mon rythme et au vu de la météo : 

Vas-y, va sur la variante alpine, tu vas voir c'est génial, il fait beau, pas d'orage, fonce !

Il appelle tout de même le refuge d'Asinau pour prévenir que je voudrais dîner mais n'arriverais que vers 19h30, ils sont ok. J'ai perdu un peu de temps à chercher ces informations mais tant pis, j'essaierai d'être rapide à nouveau. Mon père, qui avait manqué mon appel en quête de conseils, me rappelle quand je repars. Je lui parle alors en marchant et manque alors l'intersection entre le GR et la variante. Et voilà 5 min perdues bêtement... Je m'engage finalement dans la montée vers la variante alpine, ça grimpe assez fort. J'arrive rapidement sur la crête très découpée qui marque le début des aiguilles de Bavelle, des dentelles de granit très singulières, ce décor est tout simplement magnifique. L'eau, au fil du temps, a sculpté tantôt des cavités évoquant les alvéoles d'une éponge, tantôt des colonnes, plis et stries très esthétiques dans la roche. Au gris du granit viennent s'ajouter le vert profond des pins laricio, l'ocre des reliefs au deuxième plan, et le bleu de la mer au loin.

Première muraille rocheuse aiguilles de Bavelle
Début des aiguilles de Bavelle

Paysage depuis la variante alpine
La variante alpine par les aiguilles de Bavelle

Après une petite errance au moment de basculer sur l'autre versant de la muraille qui s'élevait depuis le col de Bavelle, me voilà dans le vif du sujet, affrontant déjà les premiers passages du GR équipés de chaînes. Je désescalade rapidement sans me poser de questions mais avec une aisance relative car je ne prends jamais la peine de ranger mes bâtons pour ce genre de passages. Environ 2h après être partie du village de Bavelle, me voilà à la Bocca di U Pargulu (1662 m), et il est temps de descendre vers la vallée d'Asinao.

Vue depuis Bocca di U Pargulu
Avant de redescendre vers Asinau
Je passe la vitesse supérieure. La gravité nous pénalise tellement en montée, autant l'utiliser à notre avantage dans les descentes ! Je déroule un petit trot en prenant énormément appui sur mes bâtons pour ne pas trop user les genoux et les cuisses. C'est un vrai régal. Cette sensation de vitesse, sans fournir de gros effort et avec un chargement pourtant plus important qu'en trail, le kiff. S'en suit une phase tout à plat sur un sentier bien roulant comme j'en verrai très peu tout au long de ce GR... Je continue de viser le record de vitesse et déroule un bon pas. Il fait soif, la journée commence à être longue mais il me reste encore de l'énergie (et un tout petit peu d'eau). Il faut terminer par une ultime montée raide vers le refuge, je donne tout ce que j'ai pour limiter les désagréments dans l'organisation du dîner au refuge. 

Arrivée à Asinau, 30 min plus tôt que ce que nous avions estimé et annoncé, je trouve un grand nombre de randonneur.se.s attablé.e.s à la fois à l'extérieur sur la partie terrasse et à l'intérieur du refuge. Je m'annonce en précisant que c'est en quelque sorte Anthony qui m'envoie, qu'on avait averti de mon arrivée tardive. On me chambre en prétendant que c'est trop tard, puis on finit par m'installer à la table de deux randonneuses qui ont déjà mangé leur entrée de charcuterie corse. Elles sont très sympathiques et m'accueillent chaleureusement malgré mon état (je suis bien évidemment en sueur) et mon retard. La charcuterie est délicieuse, le potage de lentilles qui suit également, et je suis plutôt rassasiée après m'être resservie plusieurs fois. Il y en a eu des calories dépensées aujourd'hui ! Le repas terminé, il est temps de trouver ma tente pour la nuit - ici comme dans tous les refuges du parc sur le GR20, on peut réserver à l'avance sa place en tente mais elles ne sont garanties que jusqu'à 19h. Si on arrive après cette heure, ils se réservent le droit de les attribuer à quelqu'un d'autre. On peut voir le bon côté des choses : si l'on a rien réservé, passé 19h, on a une chance d'obtenir une place en tente. Les refuges en ont un grand nombre, il m'a semblé tout du long qu'il en restait toujours plusieurs inocupées. Tous les refuges ont des modèles Décathlon blancs opaques, très efficaces pour protéger du soleil et de la chaleur, et équipés de matelas gonflables somme toute confortables - L'autre urgence à mon sens est de me laver. Les douches sont gelées et très sommaires, mais elles ont l'avantage d'être là ! Au tour des vêtements maintenant, c'est le quart d'heure lessive, un rituel inévitable pour qui veut alléger son sac à dos en trek. Enfin, je peux profiter de la fin de soirée pour me poser un peu au refuge, au son des chants corses entonnées par l'équipe de gardiens, tout en étudiant mon étape de demain. Premier jour : la Corse ne déçoit pas !

Etape 2 : Asinau - Usciolu

Mercredi 5 juillet 2023

Départ du refuge à 7h30, le temps est magnifique. Le GR entame tout de suite une raide montée sur un terrain de plus en plus minéral en direction de la Bocca Stazzunara, 500m plus haut (2025m). Je laisse la priorité à une vache très placide suivie de son veau tout timide, puis continue mais entends au loin des meuglements répétés et déchirants. Une vache semble être à l'écart des autres, et me donne l'impression de souffrir ou d'être en détresse. Mais impossible d'en savoir plus...

Au bout d'une heure environ à évoluer sur de grandes dalles rocheuses, me voilà à la Bocca Stazzunara, et au pied du Monte Incudine (ou Alcudina), 2134m, qui doit son nom au rocher en forme d'enclume situé 200m plus bas. C'est aussi le plus haut sommet du sud de la Corse. L'arrivée au col est comme souvent l'occasion d'une pause téléphone puisque l'on y retrouve du réseau mobile. J'envoie quelques nouvelles à mes proches, leur disant que tout va pour le mieux en ce début de journée et en ce deuxième jour ! De gros blocs de granit parsèment le col, je trouve cela très particulier et très esthétique. Au-delà, une vaste étendue verte et vallonnée se dévoile. On y trouve assez peu de forêt, ce sont surtout des prairies de montagne . On aperçoit également au loin au nord-ouest, le golfe d'Ajaccio. Derrière moi, vers le sud, on voit très bien les aiguilles de Bavelle franchies hier, mais sous un angle différent cette fois, et derrière elles le golfe de Porto Vecchio. 

Aiguilles de Bavelle vue depuis le Monte Incudine
Aiguilles de Bavelle et Golfe de Porto Vecchio

Vue vers le sud depuis le Mont Incudine
Vue vers le sud depuis le Monte Incudine

C'est ici que se séparent deux itinéraires : le nouveau tracé du GR20 passe, pour des intérêts économiques, par le refuge de Matalza. Mais vu mon découpage d'étapes, l'emprunter me ferait un détour inutile. Un ami de famille avisé m'en avait informée et je suis donc son conseil, en empruntant la variante dite de l'Alcudina, qui n'est autre que l'ancien tracé du GR. Les deux itinéraires se rejoignent au niveau de la Bocca di l'Agnone. Ce sera bien plus intéressant, comme souvent cette "variante" permet de rester plus haut et ainsi profiter d'un plus beau panorama. Cela commence par le Monte Incudine , dont le plateau sommital est également jonché de ces jolis blocs de granit bien ronds. Je l'atteins après une toute petite errance dans les buissons où j'avais momentanément perdu la trace du balisage jaune. A partir de là, pour redescendre vers Bocca Di l'Agnone, il faut suivre un balisage très particulier : ce même balisage jaune doublé de l'ancien balisage GR qui a été minutieusement recouvert de peinture gris clair, pour le masquer le plus possible. Malgré cela, ces deux traces restent bien visibles par temps clair et le sentier apparaît de manière évidente. Ce dernier est de nouveau roulant, très agréable à parcourir. Je m'attarde un peu à photographier quelques fleurs.

Blocs de granit au pied du Monte Incudine
Blocs de granit au pied de l'Incudine

 
Le sentier et le balisage de la variante
Le sentier bien visible de la "variante"... et son balisage plus discret à droite !

Le sentier bien roulant de la variante
En cheminant sur la variante

Il commence à faire assez chaud et je suis bien contente d'atteindre une forêt. Je profite de l'ombre des énormes hêtres pour ôter mes chaussures et reposer mes pieds. Un réflexe assez récent après avoir réalisé que mon mal de pieds habituel sur les grandes distances s'estompe pour une heure ou deux après ce genre de pauses. Un groupe d'une dizaine de sexagénaires accompagnés par un guide arrive en sens inverse et s'arrêtent à ma hauteur.  Je leur explique brièvement que je parcours le GR en sens sud-nord en solitaire. Une femme me demande, interloquée :

"Vous n'avez pas peur de le faire toute seule ?"

Mon naturel féministe revient au galop, je réponds, agacée mais le plus poliment possible : mais, auriez-vous posé la même question à un homme ? La dame me répond que oui, j'estime que c'est de la mauvaise foi, mais arrête là les débats. Je les rassure en leur expliquant que le GR est très fréquenté, que certes, ce ne doit pas être facile de gérer une blessure ou autre pépin si les refuges sont loin mais le fait d'être en groupe ne change pas non plus grand chose selon moi. Quand à l'éventualité de me perdre, je pense que c'est impossible sur un GR, il y a des balises si régulièrement tout au long du sentier ! Quand on a parcouru la HRP comme moi, l'orientation ici ne représente plus du tout un problème.

On me pose régulièrement cette question lors de mes treks en solo. Je dois admettre que si, au début, j'étais plutôt flattée en voyant des regards impressionnés, j'ai fini par réaliser qu'on ne me posait la question que parce que j'étais une (jeune) femme, et que cela représentait pour beaucoup un "exploit" à ce titre. J'aimerais qu'on normalise le fait que partir en trek en solitaire est à la portée de tout sportif ayant l'expérience de la montagne et de l'orientation, peut importe son genre ! Parfois, l'interrogation vient de la part de femmes qui pensent aux risques de blessures mais aussi aux "mauvaises rencontres". Je réponds en général que statistiquement, je suis plus en sécurité en montagne qu'en ville ou au sein de mon entourage... Mais refermons cette parenthèse.

Le sentier alterne entre des parties forestières et des zones ouvertes où la chaleur devient un peu plus pénible. Je m'arrête vers 13h à l'ombre pour déjeuner, peu avant Bocca di l'Agnone, et mon corps me réclame une sieste. Elle est très approximative et le sommeil peu profond mais cela fait du bien de s'allonger un peu et fermer les yeux. Arrivée au col et au croisement avec le nouveau tracé du GR, je constate, révoltée, qu'il est indiqué sur le panneau directionnel que la variante est fermée. Je me permets de m'avancer ici en disant que rien ne justifiait de "fermer" ce sentier qui était très bon, je comprends que les gens du coin et sans doute du refuge de Matalza font tout simplement tout leur possible pour attirer les randonneurs peu informés dans leur établissement... La seule chose que je peux signaler, c'est une passerelle en mauvais état mais à ras de l'eau au-dessus d'un gué que l'on pourrait passer à pied, il n'a avait aucun problème à la franchir, d'ailleurs, je précise que j'ai croisé d'autres randonneurs sur la variante. N'hésitez pas à l'emprunter...

Plus loin, la carte ainsi qu'un panneau indiquent une source que je suis bien contente de trouver pour refaire un plein d'eau nécessaire avant la dernière ascension sur l'arête qui mène au refuge d'Usciolu. Ce dernier tronçon est plaisant pour les yeux (on voit toujours la mer à l'est) mais beaucoup moins roulant. On trouve de nouveau des rochers aux formes assez inspirantes, sur cette arête faîtière nommée "A Monda". Elle sépare la vallée du Haut-Taravu et la plaine orientale. Après avoir contourné par la gauche la Punta di l'Usciolu (1815m) et quelques courts passages nécessitant l'usage des mains, j'arrive sans encombre à la Bocca di l'Usciolu puis enfin au refuge, peu avant 16h. 

Arete a Monda et ses rochers étranges
Les rochers étranges de l'arête a Monda

Ce dernier se trouve dans un site très agréable, mais avec un espace de bivouac assez restreint. Pour ma part, j'ai réservé une place en dortoir. Le refuge dispose notamment de 4 douches chaudes et en bon état, et 4 toilettes sèches toutes neuves. Mais pour l'heure, je me dirige vers l'épicerie pour réserver le dîner (un plat de pâtes qui me laissera un peu sur ma faim) mais surtout pour consommer une petite récompense après cette journée de marche : une canette de Pietra (bière corse ambrée à la châtaigne) et un bon morceau de fromage à la coupe. Un plaisir simple que je partage avec un américain aussi gentil que cultivé, à côté de qui je suis venue chercher une place à l'ombre d'un parasol. Un petit effort cérébral à présent pour tenir la conversation en anglais ! La soirée se poursuit avec le dîner, la douche, la lessive, puis enfin quelques parties de Uno avec une petit groupe de français. Je ne les reverrai pas par la suite, je suis quasiment la seule à progresser dans le sens sud-nord.

Etape 3 : Usciolu - Capannelle

Ambiance marine sur les crêtes
Parcours de crête à l'Aube

Vue sur la mer depuis le Monte Furmicula
Monte Furmicula et lever de soleil sur la mer

Jeudi 6 juillet 2023

Départ à 7h pour un parcours de crête, le soleil se lève à peine. L'ambiance est presque marine, peut-être est-ce les embruns que charrie le vent arrivant de l'ouest, la mer est tout proche. Peut-être est-ce à cause des granits polis. Magnifié par l'Aube, ce décor est vraiment envoûtant et contraste encore avec les paysages vus jusqu'ici. Je chemine dans le silence, quasi seule sur la crête, j'adore ces moments. Seul le souffle du vent brise le silence total de la montagne. Pour le moment, le ciel est majoritairement couvert mais on devine que la masse nuageuse ne demande qu'à se dissiper. De part et d'autre du sentier, j'observe une troupeau de chevaux et un couple de grands corbeaux. Après avoir cheminé sur la crête reliant le Monte Furmicula et la Punta Bianca, le sentier descend ensuite en forêt un petit moment. Cela tombe bien, je commençais à avoir un peu chaud car les nuages ont effectivement disparu. J'enlève une couche de vêtements et cet arrêt marque l'heure du deuxième petit-déjeuner (c'est beau la vie de trekkeuse, on peut prendre deux petit-déjeuners). Le col de Laparo marque la fin de la partie forestière, je m'arrête quelques instants à la table d'orientation, profitant du panorama, il est 9h15.

Puis le parcours devient plus rocailleux, pas vraiment roulant, les pieds commencent à chauffer. Il y a même un gros éboulis à traverser à proximité de la Punta di Campitellu. La pause repas au refuge du Prati est bienvenue. Il n'est que 11h50 lorsque je l'atteins mais mieux vaut être en avance vu la grosse étape du jour. 

Refuge de Prati
En arrivant au refuge de Prati

Je redémarre environ 40 min plus tard, juste avant deux mules bien chargées assurant le ravitaillement entre le refuge et le col de Verde. J'avance comme souvent d'un bon pas, le sentier s'y prêtant de nouveau. Mais je constate avec étonnement que les mules m'ont presque rattrapée dans la descente après la Bocca d'Oru. Je n'aurais jamais pensé que des mules aussi chargées avanceraient si vite sur ce genre de terrain. Une fois dans la hêtraie j'accélère encore, usant de mes appuis sur les bâtons pour cavaler, et finis par les distancer. Cette descente en forêt est très plaisante, le sentier confortable, je me régale à dévaler ainsi. Mais encore une fois, arrivée au col de Verde (vers 14h), la fatigue me gagne et les pieds souffrent à nouveau. Je dois m'arrêter un peu avant de repartir vers Capannelle, la route qui m'attend est encore longue. La fontaine située près du relais est l'endroit idéal. 

Forêt entre col de Verde et la Bocca d'Oru
En descendant vers le Col de Verde

Mais malgré la fatigue, il faut repartir dans la chaleur de l'après-midi, heureusement le GR reste à l'ombre en forêt. Entre le Col de Verde et Capannelle, cela va être un alternance entre de magnifiques pinèdes, avec des spécimens centenaires, impressionnants, et des hêtraies pleines de charme avec elles aussi des arbres centenaires. Tout d'un coup, je tombe sur un petit groupe de quatre truies noires bien typiques, qui cheminent sur le sentier en mangeant ce qu'elles trouvent au sol. Elles avancent, impassibles, devant moi. De quoi faire du bon lonzo !

J'ai encore un peu d'énergie mais la distance restant à parcourir est assez inquiétante. Heureusement, le sentier reste très confortable, roulant, il est quasiment plat. J’allonge ma foulée, déterminée à ne pas arriver trop tard. Vers 15h45, en plein lacets, une pause goûter est nécessaire, je me rends alors compte que j'arrive à la fin de mes réserves d'eau. Heureusement je me trouve à quelques centaines de mètres des bergeries d'I Pozzi, sur le plateau de Ghjalgone, où une fontaine est accessible. Je croise quelques personnes en sens inverse depuis les lacets et l'on me dit que le berger n'est vraiment pas avenant, un cliché de montagnard corse. Je me dirige donc vers la fontaine en le saluant poliment mais m'en vais aussitôt le plein d'eau fait.

Un beau pin laricio au bord du sentier
Les arbres sont magnifiques, ici un pin Laricio

Malheureusement, malgré le cheminement plutôt plaisant, toujours à l'ombre, toujours sur un sentier souple, la fatigue me rattrape à nouveau, et les kilomètres restants sont de trop. Je m'efforce de profiter du magnifique décor forestier, dans ma souffrance, mais j'avance maintenant au mental. Mes pieds me supplient d'arrêter, et mes paupières sont lourdes, je me sens presque capable de m'endormir en marchant. Comme souvent dans ces moments, il faut trouver des distractions pour l’esprit : je me mets à penser aux bons repas que je pourrais déguster une fois le GR terminé, je rêve d'une bonne pizza traditionnelle, je devrais pouvoir trouver ça à l'Île Rousse, ou au pire à Montpellier où je me rendrai en rentrant de Corse.

Forêt au sud de Capannelle
Un parcours tranquille mais trop de kilomètres dans les pattes...

Je rattrape un homme bien chargé, il est ukrainien et avance tranquillement, pas pressé ni fatigué. Nous échangeons deux mots puis je pars devant. Arrivée près d'une route qui me laisse penser que j'approche de la station de ski de Capannelle, je constate avec amertume que cette dernière est encore plus loin. Il reste une belle montée de plus de 300m de dénivelé et presque 2 kilomètres. Voyant le bitume, je rêve de faire du stop et attends au bord de la route, reposant mes pieds à l'agonie par la même occasion. Aucune voiture ne passe mais il y en a deux qui sont garées là, alors j'attends un moment. L'heure tourne ( il est 18h environ) et c'est aussi cela qui me pose problème, j'aimerais profiter d'un bon dîner et bénéficier du plus de repos possible avant d'attaquer de nouveau demain. Quand, enfin, je vois un groupe dépassé plus tôt rejoindre l'une des voitures. Je leur dis que je suis épuisée et leur demande où ils vont. Ils descendent à Ghisoni. Je me dis qu'ils auront peut-être pitié de moi et me monteront à la station avant de redescendre, mais non. Ils ne me proposent que de descendre, pas de détour par rapport à leur trajet. Si j'avançais déjà au mental, maintenant c'est carrément la méthode Coué : "Ok, je vais le faire. Je vais le faire". Allez, la montée, je sais faire, ça fait moins mal aux pieds, je serre les dents, respire à fond. Je vais au bout de moi-même en cette fin d'étape. J'arrive à 19h, ivre de fatigue, au refuge. Quand, stupéfaction, passée la porte, je vois un homme en train de préparer des pizzas, l'odeur est si alléchante ! C'est trop beau pour être vrai, une pizza dans un refuge de montagne ? Et bien oui, un peu trop beau : pour les pensionnaires comme moi, c'est menu unique, les pizzas sont à manger dehors pour les autres. J'avais réservé ma demi-pension et tout le monde est déjà attablé. Je me confonds en excuses mais le personnel est vraiment sympathique et m'accueille le mieux possible. Je file m'installer à table avec deux allemands et deux français, et dévore le bon dîner. Cela fait un bien fou de s'arrêter, et je me sens mieux après une bonne douche et des étirements dans les parties communes qui en ont amusé certains. Là-dessus, une bonne nuit de sommeil et je serai d'attaque pour demain.

Au-delà de l'accueil chaleureux, le refuge est aussi très bien équipé, avec des douches chaudes et récentes, de l'espace, du ravitaillement varié, de quoi charger les appareils électroniques... Tout ce luxe est bien sûr facilité par l'accès routier.

Étape 4 : Capannelle - L'Onda

Vue sur le Monte d'Oro depuis la bocca Palmente
Monte d'Oro depuis la Bocca Palmente

Vendredi 7 juillet 2023

La nuit m'a permis de récupérer un peu de la très grosse journée d'hier, mais me coucher plus tôt aurait été préférable. Je pars peu après 7h, et retrouve un sentier confortable dans la très belle pinède déjà entrevue hier. Nous sommes peu nombreux à parcourir le GR du sud au nord, mais je finis tout de même par rattraper puis dépasser deux allemands semblant avoir mon âge. Peut-être enfin des personnes que je verrai plus d'une fois durant cette itinérance ? Reste à savoir si nous avons le même découpage d'étapes, mais pour le moment je ne m'attarde pas. Au bout de deux heures le besoin de sieste revient, preuve que la nuit n'a pas suffit à recharger mes batteries. Je m'arrête donc sur un emplacement plat où l'on peut s'allonger, malheureusement les insectes me chatouillent les jambes et m'empêchent de trouver le sommeil. A celà s'ajoute le passage des gens arrivant de Vizzavone, qui passent juste devant moi et pour cause, je suis juste au bord du sentier. Cela dit, cette bonne pause d'une demi-heure est la bienvenue, c'est également l'occasion de grignoter un peu. 

L'étape de ce matin est toujours forestière mais globalement moins jolie que la veille depuis que je me suis éloignée de Capannelle. Le paysage s'ouvre un moment à l'approche de la Bocca Palmente, depuis laquelle on voit très bien le Monte d'Oro, 2390m. 

De l'autre côté du col, le GR traverse cette fois une forêt de châtaigniers, je commençais à me demander où on pouvait les trouver sur l'Île. Visiblement, il y en a assez peu sur le tracé du GR20 où le climat est sans doute trop montagnard.

Je rêve toujours de ma pizza, et commence maintenant à imaginer que je pourrais y avoir droit aujourd'hui, puisque je passe par Vizzavone où l'on trouve quelques restaurants et auberges. Je réfléchis tout en marchant : je vais commander une pizza, en dessert une glace à la châtaigne (ça doit bien exister ?) et un bon café, avant de repartir vers l'Onda. J'ai hâte !

En traversant l'Agnone
Vasques et cascades sur l'Agnone

J'arrive à Vizzavone bien avant l'heure du déjeuner, il est seulement 11h30. Mais j'ai tellement envie de profiter du passage "en ville" pour bien manger que je préfère attendre l'ouverture du service d'un hôtel-restaurant qui me semble convenable. Il s'agit du Vizzavona, situé juste à côté de la gare. J'y suis très bien accueillie, on me demande juste d'attendre midi pour commander. Je m'installe tranquillement à l'ombre et patiente avec mon topo-guide et mon téléphone. Tout à coup survient un phénomène météo que je n'avais encore jamais observé : alors que le soleil brille au-dessus de nos têtes, il se met à tomber une pluie assez fine d'on ne sait où, aucun nuage n'est visible dans le ciel. Ce phénomène assez rare porte un nom : "serein", apprendrai-je plus tard. Celà dure quelques instants seulement, et vu l'aspect du ciel, je ne me fais pas de soucis quant à la météo pour cet après-midi. La demi-heure d'attente est vite passée. Pas de pizza ici, malheureusement, il faudra encore patienter. Mais de quoi bien manger malgré tout : chipolatas/riz/ratatouille, suivi d'une belle coupe de glace et d'un café. Je me suis peut-être un peu trop lâchée, me dis-je en repartant le ventre bien lourd, l'ascension qui arrive risque d'être un peu rude... Il est alors 13h30, je me suis donc arrêtée 2h.

Le monte d'Oro vu d'en bas
Au pied du Monte d'Oro

Je repars donc dans la chaleur, doucement mais sûrement, avec l'intention de bien gérer l'effort tout au long de la montée qui m'attend. Ce sont 1150m de dénivelé qui me séparent de la Bocca Muratellu, dernier point de passage avant la descente sur le refuge de l'Onda, mon étape de ce soir. Beaucoup de monde circule sur le sentier à proximité de Vizzavone, puisqu'il est accessible en train et en voiture depuis les deux côtés de l'île. Au-delà des trekkeurs, beaucoup de touristes viennent simplement pour profiter des vasques sur le cours d'eau de l'Agnone, et admirer la cascade des anglais. Pas le temps pour moi d'en profiter, je n'ai que trop traîné à Vizzavone, il faut continuer...

Mais si je suis heureuse de m'éloigner de ce tumulte, je regrette de laisser derrière moi le sentier cheminant à l'ombre qui laisse maintenant place à un boulevard vertical de grandes dalles en plein cagnard. Il va falloir gérer l'eau et boire petit à petit.

Mon avancée est très lente durant toute la montée jusqu'au col, la Bocca Muratellu, qui se corse au fur et à mesure et redevient fidèle à la réputation du GR20. De la caillasse en veux-tu en voilà ! La pente est raide et la meilleure technique à adopter et de faire de petits pas bien réguliers quand on le peut . Plus de 1000m à grimper d'une traite, c'est beaucoup mais la vue sur le Monte d'Oro et la vallée de l'Agnone est très belle, ce serait dommage de ne pas se retourner quelques instants pour l'admirer.

Arrivée en haut en 3 heures depuis Vizzavone au prix d'efforts constants et de litres de sueur perdus, je rêve d'une pause bien méritée mais le moindre arrêt me vaut d'être assaillie par une multitude de moucherons, causant des démangeaisons insupportables. Je m'arrête donc très brièvement pour reposer un minimum les pieds mais j'attendrai plus tard pour la pause goûter.

Il faut monter tout en haut à la Bocca Muratellu...
Punta Migliarellu à gauche, Punta et Bocca Muratellu à droite

Juste avant la Bocca Muratellu
Juste avant la Bocca Muratellu (2120m)

La vue s'annonçait saisissante de l'autre côté mais des nuages cachent un peu le paysage. Il se dévoile tout de même en partie en descendant un peu. La montagne est parsemée de blocs rocheux dressés vers le ciel. Ses pans sont occupés comme souvent par de nombreux aulnes au stade arbustif. Ce sont des aulnes corses, une espèce endémique donc. 

La descente est plaisante, le sentier n'est pas cassant, mais l'étape du jour a tout de même été assez longue. Je ne croise plus personne depuis la montée, excepté un allemand qui vient de Vizzavone via la variante par le Monte d'Oro. Je le dépasse et m'arrête enfin manger un peu de sucre, à une altitude où ces étranges moucherons ne viennent plus me déranger.

Brume derrière les rochers qui entourent le GR20
La brume se lève avant d'atteindre l'Onda

J'arrive enfin à l'Onda à 18h, le refuge est jouxté par une vaste aire de bivouac ainsi qu'une bergerie. Par chance je peux encore m'inscrire pour le dîner, j'ai toujours sur moi un sandwich acheté hier soir à Capannelle mais ici on propose des lasagnes, ce serait dommage de ne pas en profiter. On nous appelle à table à 18h30, comme dans tous les refuges jusqu'ici, seulement cette fois nous attendons 45 longues minutes avant d'être servis. Heureusement les lasagnes végétariennes en valaient la peine, tout comme le reste du repas, potage, fromage de brebis et mousse au chocolat. De plus j'ai discuté avec trois lyonnais, Flora, Camille et Gilles, et passé un agréable moment.

Le repas terminé, je file me laver ainsi que mes vêtements. Hors de question de remettre des vêtements plein de transpiration demain ! Ici les sanitaires sont de nouveau rustiques, sans éclairage et peu nombreux. Au moment du coucher, depuis ma tente, j'écoute quelques minutes les chants corses ou autres chants populaires accompagnés à la guitare qui résonnent depuis le refuge. C'est le meilleur chanteur que j'ai entendu jusqu'à présent ! Un beau moment suspendu sur ce GR20, qui succède à un coucher de soleil venu colorer d'une douce lumière la montagne au pied de laquelle nous nous trouvons.