Mardi 11 juillet 2023
Laissant je l'espère les punaises de lit derrière moi, je quitte le refuge de Tighjettu à 6h15, il fait déjà beaucoup trop doux pour de la haute montagne. On ressent bien l'anomalie de température, on m'a parlé de 35 °C à Corte hier ou aujourd'hui. Aujourd'hui le Monte Cinto (2706m), toit de la Corse, est au menu. Une montée bien raide me sépare de la Bocca Crucetta (2456m), pour cette première partie d'étape. Passé ce col, il faudra atteindre la Pointe des Eboulis (2607m) et y déposer le sac à dos pour ensuite cheminer léger jusqu'au sommet du Cintu en essayant de ne pas se perdre et revenir avant de redescendre vers la station de ski d'Asco.
Derrière moi : Capu Tighjettu (2273m) et vallée de Crucetta |
Je grimpe sans perdre de temps à un bon 550m de gain d'altitude par heure. Il faut toujours s'aider des mains par endroits, pour passer de hautes marches. Je dépasse les quelques personnes qui étaient parties devant moi ce matin. Certaines descendent déjà dans l'autre sens. Au bout d'un certain temps passé les yeux rivés sur le sentier, tête baissée, je finis par être interpelée par des bêlements. Dans ma concentration et mon effort, cela m'évoque tout d'abord simplement des moutons, jusqu'à ce que je réalise : nous sommes à environ 1900m entourés de barres rocheuses. Point de mouton, si j'entends des bêlements, ce sont des mouflons ! Et effectivement, après un coup d’œil sur la paroi en face, j'aperçois une mouflonne et son petit. C'est une riche idée que d'arrêter de regarder mes pieds car quelques secondes plus tard, je vois un gypaète barbu qui nous survole ! Quelle chance, si j'ai bien compris, il n'est pas vraiment plus répandu ici que dans les Pyrénées (mon terrain de jeu habituel) et pourtant en 8 jours cela en fait déjà deux que je vois !
Je finis par rattraper un petit groupe de belges flamands très sympathiques, nous discutons un peu en marchant, mais il faut cependant rester concentré car le terrain est très technique en cheminant depuis la Bocca Crucetta, qui surplombe le lac du Cinto. Aux alentours de 8h30, je fais une pause grignotage à la Pointe des Eboulis, dernier arrêt avant le Cinto. Du monde afflue depuis Asco puisque c'est le sens "normal" du GR. Je discute avec un autre vingtenaire, nous partageons nos expériences ainsi que quelques bananes séchées pour qu'il reprenne des forces en vue du sommet. Je m'élance à sa suite après avoir emporté le strict nécessaire : argent, papiers, téléphone et poche à eau que j'ai rassemblés dans le large sac de rangement de mon duvet. C'est le seul contenant que j'avais, et je le porte en bandoulière. Cela s'avère extrêmement inconfortable, et vient entraver ma marche qui se fait déjà en terrain technique et avec les bâtons qui mobilisent mes mains. La progression n'est pas très rapide, d'autant que les multiples balises, trop nombreuses, prêtent à confusion quant à l'itinéraire à suivre. Heureusement nous sommes quelques-uns à aller vers le sommet et les erreurs des uns épargnent quelques forces aux autres. Me voilà au sommet à 9h30, toujours en compagnie des flamands. Le panorama est exceptionnel. Seul un voile sombre de pollution aux particules fines (d'origine naturelle) en provenance du Sahara vient obscurcir l'horizon et la vue sur la mer. Mais je me délecte de voir les sommets approchés les jours précédents, notamment le Monte Retondo (2622m), et les derniers reliefs à parcourir ces deux prochains jours. Je reste un long moment à profiter de cette vue panoramique, ce n'est pas tous les jours que l'on peut se trouver sur le toit d'une chaîne de montagnes. Chacun se fait photographier afin de redescendre avec un petit souvenir. Un chocard à bec jaune et un accenteur alpin s'approchent pour quémander de la nourriture, je me contente de les photographier de près. La chaleur commence à monter, et le soleil tape. Il est grand temps de redescendre à la Pointe des Eboulis où est restée la crème solaire. Mais le retour avec mon sac de fortune en bandoulière est très pénible, il me cisaille la nuque, il se balade, me déstabilise... Je suis soulagée mais fatiguée une fois arrivée au col.
Il ne faut pas avoir le vertige ! |
La pointe des Eboulis et le sentier descendant vers Asco |
Il est temps d'entamer la descente très raide et très caillouteuse vers la station d'Asco. Au menu pour nos petits pieds : de la salade de cailloux ! Je chemine un bon moment avec les flamands, qui descendent comme moi avec le plus de précaution possible. Il faut bien penser à ne pas se pencher en arrière pour ne pas partir en glissade. Mais j'ai accumulé de la fatigue au cours des 8 derniers jours, avec des étapes aussi longues et techniques et des nuits insuffisamment réparatrices. Je le ressens particulièrement au niveau des genoux. Je commence donc à avoir du mal à "bien" descendre, j’enchaine bien malgré moi les petites glissades. Je m'en agace, ces pertes d'équilibre et de maîtrise sont très vexantes. Mais à voir les randonneurs en sens inverse qui souffrent en montant en plein cagnard, je comprends que je ne suis pas la plus à plaindre. Ils me font de la peine et je me demande pourquoi ils n'ont pas entamé leur étape plus tôt, la journée s'annonce encore très chaude...
L'étape Tighjettu-Asco en elle-même est assez courte, mais l'aller-retour au Monte Cinto, la chaleur, la fatigue cumulée et la descente infernale dans la caillasse ont eu raison de mon plaisir à marcher en cette fin d'étape, il me tarde d'en finir à présent. D'autant que je fais trop d'erreurs. J'en arrive à rater une balise et, habituée à peiner dans des passages compliqués, je fais un tout droit dans un passage rocailleux nécessitant de mettre les mains pour descendre, et me retrouve à devoir effectuer un pas d'escalade assez engagé pour enjamber deux plateformes alors qu'un meilleur passage était prévu à quelques mètres de là.
Salade de cailloux rôtis au soleil de Corse ! |
Capu Borba (2305m) |
Les deux derniers kilomètres sont en revanche très roulants, et agrémentés du clapotis de l'eau provenant de la rivière, et même d'une belle vasque bordant le sentier. J'arrive à la station d'Asco vers 13h, encore à temps pour déjeuner. J'ai voulu pousser jusque là malgré la faim car on m'a beaucoup parlé des burgers qui se faisaient ici. J'ai donc le plaisir d'y goûter et ils sont effectivement très bons. Je pousse le vice jusqu'à rajouter une assiette de fromages corses à ce menu déjà copieux, et me fais exploser la panse. Je l'ai peut-être bien mérité mais maintenant le programme de l'après-midi est clair : ce sera sieste digestive !
Enfin un peu de répit |
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